L’irréparable est en train de se commettre: l’Arabie Saoudite a bombardé la vieille ville de San’a.
Abdelmalek nous écrit et nous envoie deux photos: avant, après.
Vous trouverez ci joint les des maisons de la vieille ville de Sanaa avant et après les bombardements Saoudiens qui ont lieu ce matin et récolté les âmes de ses habitants. Abdelmalek
La cruelle bêtise règne en maîtresse de la folie des hommes et du monde.
Nouvelle lettre de Abdelmalek, citoyen yéménite, datée du 12/05: SANA’A BRULÉE
Chers amis,
Sana’a connaît depuis hier fin d’après midi jusqu’au moment où j’écris ce message les bombardements les plus violents depuis le commencement des attaques saoudiennes: hier on dirait qu’ils ont jeté une bombe atomique sur le mont de Noqim dans le sud est de sanaa, le fait qui a provoqué l’explosion des missiles et des armes qui y étaient stokés. Ceux ci sont tombés sur toute la ville surtout la vieille ville de Sana’a gravement touchée comme elle se situe en dessous de ce mont. Une dizaine de morts sont constatés et les recherches continuent difficilement. La banque du sang qui se trouve pas loin a été détruit.
Mes soeurs et leurs familles se sont réfugiées chez moi. Ils sont arrivés couverts de poussière, les enfants et les mères pleurent.
Ce matin, les bombardements sauvages qui ne se sont cessés depuis hier, se sont approchés du quartier voisin. Là, on étudie les membres de ma famille etudient la possibilité de se réfugier ailleurs. Vite en appelant les amis on se rend compte qu’il n’y a plus d’abri et que tous les quartiers sont touchés.
Ce que les yéménites cherchent le jour que l’Arabie saoudite a déterminé il quelques jours comme le début d’arrêt de feu, c’est un petit arrêt de feu, pour qu’ils puissent enterrer leurs morts et chercher un petit pain pour les enfants qui ont perdu l’appétit et pour qu’ils réalisent qu’il s’agit pas d’un cauchemar.
Amitiés,
ABDELMALEK
Je n’ai pas su lui répondre autre chose que l’on pensait bien à lui…
Que faisons nous, République française dans ce conflit, dont les deux principaux résultats sont:
1/ les quartiers populaires de Sana’a sont bombardés (au moins 1200 civils tués).
2/ Les saoudiens, (dont le roi renforce le pouvoir de la police religieuse -Mutawa- et le soutien au Frères musulmans, et qui pourrait prétendre … à la présidence du comité onusien des droits de l’homme! ) l’Arabie saoudite, disais-je, va tenter d’éliminer les Houtis, seuls capables de lutter efficacement contre Al Qaïda, que les drones US ne réduiront jamais…
Nous vivons une époque formidable.
A suivre une chronique algérienne: « D’Alger à Téhéran, changeons notre regard sur le monde »
Ce post se fait l’écho de notre ami Abdelmalek qui s’exprime sur la situation de guerre civile au regard de l’intervention saoudienne, soutenue par les pays « occidentaux ». Je prolonge la lettre de Abdelmalek par un échange avec un ami, expert intervenant de longue date au Moyen Orient, dans lequel nous partageons une vue à contre courant et un peu provocatrice sur les choix géostratégiques, auxquels notre pays participe. Il est temps de regarder les choses autrement. Comme le titre Courrier International, « Faut-il avoir peur de l’Iran? ». Probablement pas, sauf à considérer que la politique des Etats Unis et de l’Europe doit être dictée par les marchands d’armes et par … l’extrême droite israélienne qui fait de l’Iran le bouc émissaire de son incapacité politique à négocier une paix juste avec le peuple palestinien et à permettre au peuple israélien de mener une vie normale.
La lettre de Abdelmalek, datée du 08 avril 2015 et s’intitule:
Sous le bombardements des riches
C’est la fin de la journée à Sana’a. Je me promène dans les rues de mon quartier où la tempête de poussière qui avait attaquée l’Arabie Saoudite, domine. C’est un peu le désert dans ces rues. Pourtant, on peut trouver quelques enfants qui jouent. C’est l’innocence pure qui n’a aucune conscience de sa réalité sauvage. Tant mieux. Ceux-ci profitent de chaque moment pour remplir leur mission dictée par leur âge sans se poser même une questions sur l’instant suivant qui pourrait être dramatique. Des visages souriants qui cherchent à courir vers l’infini. Des passants traversent le terrain de jeux de ces gamins. Ce dérangement de terrain agasse les petits qui envoient des regards de reproche à des passants quasi aveugles qui portent des visages fatigués et dont les dos sont courbés au maximum possible. Les enfants yéménites veulent jouer. Les passants yéménites crient en silence leur tragédie représentée dans le fait d’être yéménite: S’agit-il d’une malédiction d’être né dans ce pays « maudit »? Songeraient-ils?
Je continue à marcher dans ces rues remplies de poussière. J’heurte les regards des gens, des regards intrigués. Je leur souris sans rien dire. Ils me répondent par un sourire humaine profonde, un sourire qui provoque mes larmes malgré moi, un sourire qui me remplit de colère contre la sauvagerie de l’homme, d’autant plus de celle d’un monde moderne qui pense que les droits de l’homme s’arrête aux frontière de ses pays.
Tout l’occident moderne, (l’occident des philosophies humaines les plus jolie, les enfants de l’époque des Lumières) sait très bien que la guerre contre le Yémen représente le sommet de l’injustice. Il le sait mais il ferme les yeux pour le pétrole des Saoudiens et afin de créer un nouveau marché pour leur industrie d’armes. C’est un occident qui s’est habitué à fermer les yeux sur l’assassinat des peuples pour les intérêts. Là, je n’entends pas seulement la politique mais j’entend aussi les peuples hypocrites.
ô l’occident de l’époque des lumières, ô l’occident des droits de l’homme, Heitler n’est jamais mort. Heitler règne toujours chez vous, il n’a fait que changer sa victime. Vous ne faites qu’approuver la pensée de Nietzche. Vous ne faites qu’enraciner l’image de la jungle. Si mes mots sont blessants pour vous, c’est un bon signe qui dirait qu’un jour vous pourriez être touchés pour les gens qui souffrent à l’étranger et peut-être à cause de la politique de vos pays.
Je suis sûr qu’aucun journal dans vos pays de liberté ne peut oser publier ces mots parce qu’ils sont tout simplement écrits par un yéménite, une race inférieure dont le meurtre en masse ne désigne un fait divers pour vous.
Tout ce que je viens d’écrire, était inspiré par la tempête de poussière qui règne dans mon quartier. Maintenant, c’est la tombée du soleil. Les enfants souriants, les passants fatigués et moi furieux, on est obligés de rentrer chacun chez soi parce qu’on a rendez-vous tous les Yéménite avec une autre tempête (la tempête décisive) de l’Arabie saoudite et de ses alliés dont vos pays. Si ces mots sont arrivés à être lus par vous, je me permets donc de vous laisser imaginer un instant notre vie sous les bombardements.
Voici maintenant mon échange sur la situation avec J.
Moi:
Je crois, de mon modeste point de vue , de la géo stratégie française et européenne tombe de Charybde en Scylla.
« Faut-il craindre l’Iran? » bonne question de Courrier International de cette semaine.
Je crains que nous ne refaisions les mêmes erreurs que dans les années 80, après l’invasion de l’Afghanistan par les Soviètiques.
Nous allons continuer à renforcer les sources profondes du djihadisme (i.e. le wahabisme). Tu me diras que les chiites ne valent pas mieux. Ils présentent cependant deux avantages: le peuple iranien reste le plus éduqué du Moyen orient, et les chiites sont organisés… je pense que, à long terme, c’est mieux pour le business que le Qatar! Et, plus méchamment …., l’histoire plaide plus pour la Perse que pour les Bédouins… En tout cas , et pour revenir au Yemen, je partage le point de vue de Abdelmalek, que le meilleur rempart contre AQPA reste les Houtis. Il faut savoir ce que l’on veut.
Merci de la lecture de mes idées certainement iconoclastes.
Réponse de J.:
L’Iran revient en force sur la scène proche orientale et va peut être retrouver le rôle normal que doit tenir l’ancienne Perse dans la région.
L’Iran chiite, au fond ,semble beaucoup moins dangereuse que le monde sunnite surtout çelui représenté par l’Arabie Saoudite et le Qatar, qui exporte depuis des dizaines d’années une pensée fondamentaliste et qui a créé l’islamisme contemporain (al qaida et consorts…) qui nous pose les problèmes qu’on connaît.
Les Chiites sont les pires ennemis de ces islamistes. Il faut savoir ce que l’on veut.
Mais bien sûr, ces pays du Golfe ont du pétrole et du gaz donc de l’argent et nous devons faire des affaires à court et moyen terme. Ça a marché pendant un certain temps. Aujourd’hui le monde change et il ne faudra pas trop se tromper en politique extérieure
Il faut trouver un équilibre. Çe ne sera pas simple quand on connaît la haine qui existe entre l’Arabie Saoudite et l’Iran. L’Arabie craint la puissance de l’Iran et a toujours considéré les chiites comme des non musulmans.
(Dans le « bateau aérien » – A380- au dessus de l’Adriatique. La route aérienne contourne la Syrie et l’Irak par le sud, en remontant l’Arabie, le Sinaï puis la Méditerranée.)
Quelle étrange impression, dans la salle d’embarquement à Dubaï: cosmopolite, plus de femmes en niqab, mais quelques voiles de la dernière mode. Non pas que que les Emirats Arabes Unis soient un paradis de la tolérance religieuse mais cette fédération d’émirats est l’une des plaques tournantes (hub) les plus importante du monde aérien et financier.
Vue d’avion, la ville est semblable à une métropole américaine de l’ouest: paysage sec, down town de gratte-ciels qui surgissent dans la brume de chaleur , autoroutes urbaines, quartiers tracés au cordeau, et, nous sommes au bord du Golfe persique, marina et nouveaux espaces gagnés sur la mer. La lecture de Gulf News confirme cette image d’un pays mondialisé et relativement plus ouverts que leurs voisins saoudiens ou quataris, de stricte observance wahabite…
Sana’a ce matin. Tranquille ce vendredi – jour de la grande prière-; le campement des houtls dort encore, sur la gauche de la route principale qui mène au nord, à l’aéroport. Nous avons pris dans la ville, la voie parallèle pour éviter d’éventuels barrages des « rebelles » qui nous auraient retardés. Quatre check points de militaires dans le classique pick up armé de sa mitrailleuse. La situation est en stand by, le président Hadi a promis la démission du gouvernement et une (petite) baisse du prix des carburants. Insuffisant pour les Houtis qui maintiennent la pression. Peuvent-ils espérer un des ministères comme l’Intérieur ou la Défense, les plus intéressants du fait des revenus de corruption qu’ils permettent avec leur important budget ? Probablement manifestations et tensions ce samedi.
Par ailleurs les incidents meurtriers se poursuivent , en particulier au sud où AQPA poursuit ses attaques de postes militaires.
A l’aéroport, dans une ambiance bonne enfant, c’est la foule. Ahmed joue de son entregent et je passe rapidement l’enregistrement. Formalités de visas, embarquement sans précipitation, décollage le long d’un tarmack où stationnent des carcasses diverses de vieux engins militaires et d’hélicoptères soviétiques hors d’âge.
Je quitte ce Yemen et ses habitants avec le souhait très fort d’y revenir oeuvrer. Nous esperons que le chantier en cours se poursuivra et trouvera ses ouvriers, dans un paysage politique stabilisé.
Ce vendredi, 19h30 heure locale , sur les nuages qui recouvrent les Dolomites.
Malgré les apparences d’un hôtel animé par les groupes participant au festival d’été – égyptiens, saoudiens et palestiniens en ce moment-, la situation reste tendue. Les positions des Houtis se renforcent dans les campements autour de la capitale, avec probablement le soutien d’une partie de la population. Les décisions d’augmentation des prix des carburants (doublement!) va renchérir le prix des produits de bases et entraîner vers plus de pauvreté un partie grandissante de la population qui bascule , selon la presse, « dans l’insécurité alimentaire ». On observerait par ailleurs des distributions de vivres devant des supermarchés. Le gouvernement cherche-t-il atténuer le choc?
Les demandes fermes des Houtis comportent- outre la baisse des prix- la démission du gouvernement et son remplacement par des ministres technocrates. Ces demandes mettent en danger la position de Islah (parti apparenté aux Frères Musulmans, en confrontation permanente avec les Houtis shiites qui partage actuellement le pouvoir du président Mansour Hadi. Le processus de réconciliation nationale (Conférence du Dialogue National) peine à se concrétiser; il est menacé par l’explosion d’un cocktail composé de luttes pour le pouvoir sur fond de conflit religieux, et de revendications populaires à un accès aux biens de première nécessité.
Souhaitons, Inch Allah, que la grande prière de ce vendredi soit un appel à la réconciliation. Mais certain disent que Dieu est trop occupé en Syrie, à Gaza et en Irak pour s’occuper du Yemen… Les hommes ne doivent-ils pas prendre en main leur destin et oeuvrer pour le bien commun?
En illustration de ce post, la photo de l’article de Yemen Times
http://www.yementimes.com/en/1811/news/4250/Houthi-camps-in-the-capital-continue-to-grow.htm )
La contre manifestation de Islah (mouvement politique dans la mouvance des Frères Musulmans) vient de se terminer dans la capitale, probablement importante, appuyée par le gouvernement actuel, en réaction à celle des Houtis, qui demandent toujours la démission du gouvernement et l’annulation de la hausse (doublement…) des prix des carburants.
Où en sommes-nous dans le difficile paysage politique de ce pays qui peine à sortir de la féodalité, du recours à la violence quasi systématique pour régler les problèmes, et d’une réunification entre le Nord et le Sud, soldée par une guerre civile (1994)? Le mouvement populaire de 2011 n’a produit que le départ du Président Saleh; le gouvernement « de transition » du Président Mansour Hadi est caractérisé par l’immobilisme et la difficulté (incapacité?) à traduire dans les faits les travaux du groupe de travail à la recherche du consensus national.
Au nord et particulièrement dans les montagnes , le mouvement chiite des Houtis ( ou Ansarullah) contrôle une province (Saada) et des territoires jusqu’à Sanna’a où ils sont nombreux. Actuellement installés dans des camps à l’ouest , au sud de la capitale , ils bloquent au nord des ministères sur la route de l’aéroport; ce sont des milliers d’hommes armés, qui pour le moment « exercent une pression pacifique ».
Au sud, un mouvement indépendantiste, nostalgique du Sud Yemen crée des troubles. Mais le plus inquiétant sont les actions armées de Al Quaeda de la Péninsule Arabique (AQPA) en Hadramaout, la province du sud-est, limitrophe de Oman.
En toile de fond, sociologique, le règne des cheikhs qui dirigent leurs tribus et font la loi dans leur territoire, en conséquence un état faible, et un développement généralisé de la corruption qui vit sur l’absence d’un système de redistribution sociale. Et une population sur-armée qui donne parfois physiquement l’impression de se trouver dans une ville du Far West américain du XIXé siècle…
A part cela, les habitants du « Shebastan » sont de gens très accueillants et d’une grande vivacité d’esprit. On les aime suffisamment pour leur souhaiter une vie meilleure, à laquelle ils aspirent.