Chroniques du Shebastan (8) ABDELMALEK S’EXPRIME SUR L’INTERVENTION AU YEMEN

peinture de l'artiste yéménite Al Futai 2014
peinture de l’artiste yéménite Al Futai
2014

Ce post se fait l’écho de notre ami Abdelmalek qui s’exprime sur la situation de guerre civile au regard de l’intervention saoudienne, soutenue par les pays « occidentaux ». Je prolonge la lettre de Abdelmalek par un échange avec un ami, expert intervenant de longue date au Moyen Orient, dans lequel nous partageons une vue à contre courant et un peu provocatrice sur les choix géostratégiques, auxquels notre pays participe. Il est temps de regarder les choses autrement. Comme le titre Courrier International, « Faut-il avoir peur de l’Iran? ». Probablement pas, sauf à considérer que la politique des Etats Unis et de l’Europe doit être dictée par les marchands d’armes et par … l’extrême droite israélienne qui fait de l’Iran le bouc émissaire de son incapacité politique à négocier une paix juste avec le peuple palestinien et à permettre au peuple israélien de mener une vie normale.

La lettre de Abdelmalek, datée du 08 avril 2015 et s’intitule:

Sous le bombardements des riches 

C’est la fin de la journée à Sana’a. Je me promène dans les rues de mon quartier où la tempête de poussière qui avait attaquée l’Arabie Saoudite, domine. C’est un peu le désert dans ces rues. Pourtant, on peut trouver quelques enfants qui jouent. C’est l’innocence pure qui n’a aucune conscience de sa réalité sauvage. Tant mieux. Ceux-ci profitent de chaque moment pour remplir leur mission dictée par leur âge sans se poser même une questions sur l’instant suivant qui pourrait être dramatique. Des visages souriants qui cherchent à courir vers l’infini. Des passants traversent le terrain de jeux de ces gamins. Ce dérangement de terrain agasse les petits qui envoient des regards de reproche à des passants quasi aveugles qui portent des visages fatigués et dont les dos sont courbés au maximum possible. Les enfants yéménites veulent jouer. Les passants yéménites crient en silence leur tragédie représentée dans le fait d’être yéménite: S’agit-il d’une malédiction d’être né dans ce pays « maudit »? Songeraient-ils?

                  Je continue à marcher dans ces rues remplies de poussière. J’heurte les regards des gens, des regards intrigués. Je leur souris sans rien dire. Ils me répondent par un sourire humaine profonde, un sourire qui provoque mes larmes malgré moi, un sourire qui me remplit de colère contre la sauvagerie de l’homme, d’autant plus de celle d’un monde moderne qui pense que les droits de l’homme s’arrête aux frontière de ses pays.

                  Tout l’occident moderne, (l’occident des philosophies humaines les plus jolie, les enfants de l’époque des Lumières) sait très bien que la guerre contre le Yémen représente le sommet de l’injustice. Il le sait mais il ferme les yeux pour le pétrole des Saoudiens et afin de créer un nouveau marché pour leur industrie d’armes. C’est un occident qui s’est habitué à fermer les yeux sur l’assassinat des peuples pour les intérêts. Là, je n’entends pas seulement la politique mais j’entend aussi les peuples hypocrites.

                  ô l’occident de l’époque des lumières, ô l’occident des droits de l’homme, Heitler n’est jamais mort. Heitler règne toujours chez vous, il n’a fait que changer sa victime. Vous ne faites qu’approuver la pensée de Nietzche. Vous ne faites qu’enraciner l’image de la jungle. Si mes mots sont blessants pour vous, c’est un bon signe qui dirait qu’un jour vous pourriez être touchés pour les gens qui souffrent à l’étranger et peut-être à cause de la politique de vos pays.

                  Je suis sûr qu’aucun journal dans vos pays de liberté ne peut oser publier ces mots parce qu’ils sont tout simplement écrits par un yéménite, une race inférieure dont le meurtre en masse ne désigne un fait divers pour vous.

                  Tout ce que je viens d’écrire, était inspiré par la tempête de poussière qui règne dans mon quartier. Maintenant, c’est la tombée du soleil. Les enfants souriants, les passants fatigués et moi furieux, on est obligés de rentrer chacun chez soi parce qu’on a rendez-vous tous les Yéménite avec une autre tempête (la tempête décisive) de l’Arabie saoudite et de ses alliés dont vos pays. Si ces mots sont arrivés à être lus par vous, je me permets donc de vous laisser imaginer un instant notre vie sous les bombardements.

Voici maintenant mon échange sur la situation avec J.

Moi:

Je crois, de mon modeste point de vue , de la géo stratégie française et européenne tombe de Charybde en Scylla.
« Faut-il craindre l’Iran? » bonne question de Courrier International de cette semaine.
Je crains que nous ne refaisions les mêmes erreurs que dans les années 80, après l’invasion de l’Afghanistan par les Soviètiques.
Nous allons continuer à renforcer les sources profondes du djihadisme  (i.e. le wahabisme). Tu me diras que les chiites ne valent pas mieux. Ils présentent cependant deux avantages: le peuple iranien reste le plus éduqué du Moyen orient, et les chiites sont organisés… je pense que, à long terme, c’est mieux pour le business que le Qatar! Et, plus méchamment …., l’histoire plaide plus pour la Perse que pour les Bédouins…  En tout cas , et pour revenir au Yemen, je partage le  point de vue de Abdelmalek,  que le meilleur rempart contre AQPA reste les Houtis. Il faut savoir ce que l’on veut.
Merci de la lecture de mes idées certainement iconoclastes.
Réponse de J.:
L’Iran revient en force sur la scène proche orientale et va peut être retrouver le rôle normal que doit tenir l’ancienne Perse dans la région.
L’Iran chiite, au fond ,semble beaucoup moins dangereuse que le monde sunnite surtout çelui représenté par l’Arabie Saoudite et le Qatar, qui exporte depuis des dizaines d’années une pensée fondamentaliste et qui a créé l’islamisme contemporain (al qaida et consorts…) qui nous pose les problèmes qu’on connaît.
Les Chiites sont les pires ennemis de ces islamistes. Il faut savoir ce que l’on veut.
Mais bien sûr, ces pays du Golfe ont du pétrole et du gaz donc de l’argent et nous devons faire des affaires à court et moyen terme. Ça a marché pendant un certain temps. Aujourd’hui le monde change et il ne faudra pas trop se tromper en politique extérieure
Il faut trouver un équilibre. Çe ne sera pas simple quand on connaît la haine qui existe entre l’Arabie Saoudite et l’Iran. L’Arabie craint la puissance de l’Iran et a toujours considéré les chiites comme des non musulmans.
A suivre….