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« LA RELIGION EST L’OPIUM DU PEUPLE »

CHRONIQUE DE LA LAÏCITÉ (1)

laicite

« LA RELIGION EST L’OPIUM DU PEUPLE »

Le fait religieux est au cœur de nos cultures, c’est-à-dire de la représentation que nous nous faisons du monde et des autres. Il est constitutif de notre identité collective, que l’on soit croyant en un dieu unique, aux esprits ou bien athée. J’aurais moi-même beaucoup de mal à accepter la disparition du son des cloches rythmant les heures, comme mes amis algériens, pourtant loin de toute pratique religieuse, souffriraient que l’appel à la prière du muezzin quitte leur environnement sonore quotidien. Le rythme de notre quotidien, son paysage sont le résultat d’une longue histoire.

Cependant, notre société a progressivement construit une segmentation entre la sphère publique et la sphère privée. C’est le sens de la laïcité instaurée en République par les lois de séparation de l’église et de l’État (1905). La liberté de conscience est au fondement de nos droits constitutionnels: elle fait que je suis libre de croire ou de ne pas croire. Enfin, l’État s’interdit de subventionner les cultes. (Ça, c’est plus difficile et l’enseignement confessionnel reste subventionné par les pouvoirs publics… avec toutes les questions que cela pose à l’instauration d’une éducation citoyenne de la laïcité; cf. la polémique de ce mois de février sur le lycée privé  Averoes de Lille).

Que constatons-nous depuis quelques années ? Que la religion envahit l’espace et le débat publics. Deux moments sont caractéristiques de cette situation.

2012 2013 : les catholiques réactionnaires, appuyée par la droite ultra-conservatrice et les nostalgiques du pétainisme, occupent la rue sur des questions de politique familiale alors que moins de 5 % des Français fréquentent les églises (1).

2015 : les attentats du 7 janvier mettent en avant l’islamophobie et plus profondément les problèmes de pratiques d’appartenance religieuse des musulmans et des israélites, nonobstant citoyens de la république.

Il y a de mon point de vue envahissement de la sphère publique par les prosélytes de telle ou telle prétention religieuse à l’universalité !

Nous reviendrons spécifiquement dans une prochaine chronique sur le cas de la pratique de l’islam  en France.

Il est temps d’appuyer quelques mesures de bon sens, -quoique provocatrices-:

– à l’école relançons l’enseignement de l’histoire de la géographie comme base de l’instruction civique ;

– développons le service national universel (merci Monsieur le Président…) ;

– partageons entre les religions les lieux de culte propriété des collectivités locales et de l’État.

– appliquons strictement la loi sur les signes religieux dans l’espace public.

Enfin relisons Karl Marx, dans un texte célèbre de 1843, extrait de la « Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel » (2), texte que l’on oublie trop de lire dans son entier:

« La misère religieuse est, d’une part, l’expression de la misère réelle, et, d’autre part, la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature accablée par le malheur, l’âme d’un monde sans cœur, de même qu’elle est l’esprit d’une époque sans esprit. C’est l’opium du peuple. 

Le véritable bonheur du peuple exige que la religion soit supprimée en tant que bonheur illusoire du peuple. Exiger qu’il soit renoncé aux illusions concernant notre propre situation, c’est exiger qu’il soit renoncé à une situation qui a besoin d’illusions. La critique de la religion est donc, en germe, la critique de cette vallée de larmes, dont la religion est l’auréole. »

Citation éclairante pour analyser le lien entre la misère économique et politique des peuples qui se réfugient dans une illusoire identité religieuse pour exister. Voici , in extinso, la première partie du texte de la « contribution »:

« Pour l’Allemagne, la critique de la religion est finie en substance. Or, la critique de la religion est la condition première de toute critique.

L’existence profane de l’erreur est compromise, dès que sa céleste oratio pro aris et focis (3) a été réfutée. L’homme qui, dans la réalité fantastique du ciel où il cherchait un surhomme, n’a trouvé que son propre reflet, ne sera plus tenté de ne trouver que sa propre apparence, le non-homme, là où il cherche et est forcé de chercher sa réalité véritable.

Le fondement de la critique irréligieuse est celui-ci : l’homme fait la religion, ce n’est pas la religion qui fait l’homme. La religion est en réalité la conscience et le sentiment propre de l’homme qui, ou bien ne s’est pas encore trouvé, ou bien s’est déjà reperdu. Mais l’homme n’est pas un être abstrait, extérieur au monde réel. L’homme, c’est le monde de l’homme, l’État, la société. Cet État, cette société produisent la religion, une conscience erronée du monde, parce qu’ils constituent eux-mêmes un monde faux. La religion est la théorie générale de ce monde, son compendium encyclopédique, sa logique sous une forme populaire, son point d’honneur spiritualiste, son enthousiasme, sa sanction morale, son complément solennel, sa raison générale de consolation et de justification. C’est la réalisation fantastique de l’essence humaine, parce que l’essence humaine n’a pas de réalité véritable. La lutte contre la religion est donc par ricochet la lutte contre ce monde, dont la religion est l’arôme spirituel.

La misère religieuse est, d’une part, l’expression de la misère réelle, et, d’autre part, la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature accablée par le malheur, l’âme d’un monde sans cœur, de même qu’elle est l’esprit d’une époque sans esprit. C’est l’opium du peuple.

Le véritable bonheur du peuple exige que la religion soit supprimée en tant que bonheur illusoire du peuple. Exiger qu’il soit renoncé aux illusions concernant notre propre situation, c’est exiger qu’il soit renoncé à une situation qui a besoin d’illusions. La critique de la religion est donc, en germe, la critique de cette vallée de larmes, dont la religion est l’auréole. 

La critique a effeuillé les fleurs imaginaires qui couvraient la chaîne, non pas pour que l’homme porte la chaîne prosaïque et désolante, mais pour qu’il secoue la chaîne et cueille la fleur vivante. La critique de la religion désillusionne l’homme, pour qu’il pense, agisse, forme sa réalité comme un homme désillusionné, devenu raisonnable, pour qu’il se meuve autour de lui et par suite autour de son véritable soleil. La religion n’est que le soleil illusoire qui se meut autour de l’homme, tant qu’il ne se meut pas autour de lui-même.

L’histoire a donc la mission, une fois que la vie future de la vérité s’est évanouie, d’établir la vérité de la vie présente. Et la première tâche de la philosophie, qui est au service de l’histoire, consiste, une fois démasquée l’image sainte qui représentait la renonciation de l’homme à lui-même, à démasquer cette renonciation sous ses formes profanes. La critique du ciel se transforme ainsi en critique de la terre, la critique de la religion en critique du droit, la critique de la théologie en critique de la politique. 

En attendant, depuis que je lis Philippe Descola (4) je sais (?!) que ma vision du monde est animiste, car je crois que les arbres et les poissons ont une âme… C’est reposant et pas dangereux du tout.

A SUIVRE DANS UNE PROCHAINE CHRONIQUE SUR LA LAÏCITE…

notes:
1: IFOP: Le catholicisme en France en 2010.
http://www.ifop.fr/media/pressdocument/238-1-document_file.pdf
2: https://www.marxists.org/francais/marx/works/1843/00/km18430000.htm
3: oratio pro aris et focis: (combattre) pour ses autels et ses foyers.
4:Pour moi, l’un des textes les plus importants lu ces dernières années: La Composition des Mondes, P. Descola, ed: Flammarion.