Pour l’ambiance, ce matin manifestation des Houtis -les discussions n’avancent pas- qui annoncent la troisième étape de la révolution en référence à celle de 2011. Quelques coups de feu entendus à notre retour à l’hôtel, mais cela n’a ici rien d’exceptionnel.
Au Yemen, le visage à la joue gonflée par la boule de qat est incontournable. Dès le début de l’après midi, un grand nombre de yéménis s’installent dans la rue, chez eux et le plus souvent en groupe, un petit sac de branches de qat à la main que l’on s’est procuré dans la matinée, et commencent à mâcher consciencieusement les feuilles unes à unes pour en faire une boule que l’on stocke dans la joue droite ou gauche.
L’expérience fut faite pour moi un jeudi après midi. Nous nous sommes retrouvés à huit chez A., dans son grand salon – capable d’accueillir dans ses divans (diwan) vingt cinq convives… Nous avions prévu un grand thème de discussions, lequel s’est tranquillement développé après de longues civilités et manifestations d’amitiés. La réorganisation de la structure pour qui nous intervenons est un grand souci pour nos amis yéménis. Cela ne nous a pas empêché de dire du mal de notre meilleur ennemi « héréditaire » commun (à deviner…), ainsi que de quelques voisins encombrants, et pour nos amis d’évoquer avec une certaine nostalgie le sud dont certains sont originaires, moins abrupt que le nord.
Et de trois à sept heures, les petites branches s’effeuillent, les plus jeunes feuilles choisies, aux effets stupéfiants meilleurs.
Quels effets? nuls pour moi, car prudent, j’ai volontiers participé au rituel de cette riche sociabilité, avec seulement quelques branches mâchées pour faire une petite boule. Ils sont diversement décrits par les participants, mais provoquent, outre la perte de l’appétit et des dents très abimées, un effet d’accoutumance aussi difficilement réversible que le cannabis. En cette période, j’ai l’impression que le qat est un refuge pour l’esprit des yéménis.
Sociabilité, mais surtout auto destruction d’une société.
L’inventaire est lourd des conséquence du qat sur la société yéménite. Son coût économique et social et énorme. Plus personne ne travaille l’après- midi, ou au ralenti, sans qu’aucune affaire ne se règle. Le pays vit au rythme du qat, des ministères aux militaires en faction devant un immeuble public.
La culture du qat a remplacée celle du café, production du Yemen où l’on dit qu’il est la première terre de culture du qhawa.
La qat est cher et ampute gravement les ressources des yéménis les plus pauvres: une botte de qat coute de 1000 à 1500 rials soit de 3 à 5 euros, selon la qualité… Un agent de la fonction de publique ne gagne pas plus de 100 euros par mois.
Enfin, plus discrètement, femmes et adolescents qattent aussi. Seuls, les musulmans à la pratique religieuse la plus rigoureuse abandonnent le qat.
Sans issue? C’est un futur meilleur plus vivable pour les yéménis et un état plus fort qui tueront le qat.
Pour aller plus loin, lire (en anglais) Peer GATTER; ci joint une photo illustrant un de ses livres, et qu’il commente ainsi: « (La photo) montre un vieil homme, au regard inquiet, souriant à moitié alors qu’il tend un bouquet de feuilles de qat. A l’arrière plan, un adolescent au regard sauvage, la joue gonflées de qat, regarde la caméra. »